Manipulation vertébrale, neuroplasticité, stress et inflammation

Les effets de 12 semaines d’ajustements chiropratiques sur les biomarqueurs physiologiques du cerveau, du stress et d’inflammation

 

J’ai déjà parlé de quelques études qui ont exploré l’effet des manipulations vertébrales chiropratiques sur le fonctionnement du cerveau et du système nerveux que vous pourrez retrouver en cliquant ici ou ici ou encore ici.
Voici une dernière étude parue en décembre 2025 :

Introduction et contexte

Cette étude, publiée en décembre 2025 dans la revue PLOS ONE, examine comment les soins chiropratiques peuvent influencer différents marqueurs biologiques dans notre organisme. Les chercheurs voulaient comprendre si les ajustements de la colonne vertébrale pratiqués par les chiropracteurs pouvaient avoir des effets mesurables sur le cerveau, le système immunitaire et la réponse au stress.

La Chiropraxie est une pratique qui se concentre sur la santé de la colonne vertébrale et du système nerveux. Les chiropracteurs utilisent des manipulations précises de la colonne vertébrale pour corriger des problèmes au niveau de la colonne vertébrale qui peuvent perturber la communication entre le cerveau et le reste du corps. Bien que les bienfaits de la Chiropraxie sur la douleur soient reconnus, on connaissait peu ses effets à long terme sur les mécanismes internes de notre corps.

Objectif de l’étude

L’objectif principal était de vérifier si 12 semaines de soins chiropratiques pouvaient modifier des marqueurs biologiques importants chez des adultes souffrant de douleurs vertébrales légères. Les chercheurs ont mesuré plusieurs substances dans le sang, la salive et les cheveux pour observer ces changements.

Méthodologie

L’étude a été menée entre mai et décembre 2022, dans un centre de réadaptation hospitalier. C’était un essai contrôlé randomisé, ce qui signifie que les participants ont été répartis au hasard en deux groupes pour garantir des résultats fiables.

Les participants

Les chercheurs ont recruté 106 adultes âgés de 20 à 60 ans. Ces personnes avaient des douleurs légères à la colonne vertébrale qui revenaient de temps en temps, mais elles n’étaient pas en crise au moment de l’étude. On appelle cela une douleur « infraclinique ». Au final, 88 personnes ont terminé les 12 semaines d’intervention et 73 ont participé jusqu’à la fin du suivi de 16 semaines.

Le groupe qui a reçu les vrais soins chiropratiques comprenait 26 hommes et 15 femmes, avec une moyenne d’âge de 37 ans. Le groupe témoin comptait 24 hommes et 23 femmes, avec une moyenne d’âge de 27 ans.

Les deux groupes

Groupe chiropratique : Ces participants ont reçu de véritables ajustements chiropratiques environ trois fois par semaine pendant 12 semaines. Le chiropracteur examinait leur colonne vertébrale à chaque visite pour identifier les zones problématiques, puis effectuait des manipulations précises et rapides de ces zones. Ces ajustements pouvaient être faits manuellement ou avec un instrument spécialisé. Chaque séance durait environ 15 à 20 minutes.

Groupe témoin : Ces participants ont reçu des soins « factices » ou « sham ». Ils venaient aussi souvent que l’autre groupe et le chiropracteur examinait leur colonne, mais sans effectuer de véritables ajustements. Le chiropracteur positionnait les patients comme pour un vrai ajustement, mais sans appliquer la poussée sur la colonne vertébrale. Cette approche permettait de comparer les effets réels des soins chiropratiques avec un placebo.

Il est important de noter que l’étude a été menée au Pakistan, où la chiropraxie est peu connue. Cela a permis aux chercheurs de mieux contrôler l’effet placebo, car les participants ne savaient pas vraiment à quoi s’attendre.

Les mesures effectuées

Les chercheurs ont prélevé des échantillons à trois moments différents : au début de l’étude, après 12 semaines de traitement, et à 16 semaines pour voir si les effets persistaient.

Prélèvements sanguins : Ils ont analysé plusieurs substances dans le sang, notamment le BDNF (facteur neurotrophique dérivé du cerveau), qui joue un rôle dans la plasticité cérébrale et l’apprentissage. Ils ont aussi mesuré différentes cytokines, qui sont des molécules impliquées dans l’inflammation et la réponse immunitaire : l’interleukine-6 (IL-6), le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α), l’interféron gamma (IFN-γ) et la protéine C-réactive (CRP). Enfin, ils ont compté différents types de cellules immunitaires : les lymphocytes B (CD19), les lymphocytes T auxiliaires (CD4), les lymphocytes T cytotoxiques (CD8) et les cellules tueuses naturelles (CD56).

Prélèvements de salive : Les participants devaient recueillir leur salive tôt le matin pour mesurer le cortisol, l’hormone du stress.

Prélèvements de cheveux : Les chercheurs ont coupé une petite mèche de cheveux pour mesurer le cortisol sur le long terme. Le cortisol dans les cheveux reflète le niveau de stress chronique sur plusieurs semaines ou mois.

Tous ces échantillons ont été analysés avec des techniques de laboratoire très précises pour mesurer les concentrations de chaque substance.

Note :

Pour éviter que les attentes des participants n’influencent les résultats, ni les participants ni les personnes qui analysaient les échantillons ne savaient qui recevait les vrais soins et qui recevait les soins factices. À la fin de l’étude, 94% des participants des deux groupes pensaient avoir reçu de vrais soins chiropratiques, ce qui montre que le secret a bien été préservé.

Résultats principaux

Après 12 semaines de traitement

BDNF sanguin : Le groupe chiropratique a montré une augmentation significative du BDNF dans le sang par rapport au groupe témoin. Cette protéine est essentielle pour la santé et la croissance des neurones dans le cerveau. Son augmentation suggère que les soins chiropratiques pourraient stimuler la neuroplasticité, c’est-à-dire la capacité du cerveau à se remodeler et à créer de nouvelles connexions.

Interleukine-6 (IL-6) : Les niveaux d’IL-6 étaient plus élevés dans le groupe chiropratique. L’IL-6 est généralement considérée comme un marqueur d’inflammation, mais elle joue aussi un rôle positif. Quand les muscles travaillent intensément, ils libèrent de l’IL-6 qui aide à la régénération musculaire. Dans ce cas, l’augmentation pourrait refléter un processus de réparation des muscles profonds de la colonne vertébrale sollicités par les ajustements.

TNF-alpha : Le groupe chiropratique présentait des niveaux significativement plus bas de TNF-α. Cette molécule joue un rôle important dans l’inflammation systémique. Sa réduction suggère que les soins chiropratiques pourraient avoir un effet anti-inflammatoire.

Cortisol salivaire : Le cortisol dans la salive était plus élevé dans le groupe chiropratique. Cela peut sembler surprenant, mais le cortisol joue un rôle régulateur. Son augmentation temporaire pourrait être une réponse au stress mécanique des ajustements et aider à moduler l’inflammation.

Cellules immunitaires : Les chercheurs ont observé des augmentations des lymphocytes CD19, CD4 et CD8 dans le groupe chiropratique, suggérant une activation du système immunitaire. Cependant, ces différences n’étaient pas significatives par rapport au groupe témoin.

Après 16 semaines (4 semaines après la fin du traitement)

Cortisol sanguin : Les niveaux de cortisol dans le sang étaient significativement plus bas dans le groupe chiropratique par rapport au groupe témoin. Cela suggère qu’après l’arrêt des soins, l’inflammation globale du corps diminue.

IFN-gamma : Les niveaux d’IFN-γ étaient plus élevés dans le groupe témoin. Cette molécule active le système immunitaire en réponse aux cellules endommagées. Son absence d’augmentation dans le groupe chiropratique suggère que les soins ne causent pas de dommages cellulaires.

TNF-alpha : Les niveaux restaient plus bas dans le groupe chiropratique, confirmant l’effet anti-inflammatoire durable des soins.

Cortisol capillaire : Bien que non statistiquement significative, une tendance à la réduction du cortisol dans les cheveux a été observée dans le groupe chiropratique, ce qui pourrait indiquer une diminution du stress chronique.

Interprétation des résultats

Effets sur le cerveau

L’augmentation du BDNF est particulièrement intéressante. Cette protéine est cruciale pour la survie des neurones, la formation de nouvelles connexions nerveuses et l’apprentissage. Elle protège aussi le cerveau contre les effets négatifs du stress et de l’inflammation. Les résultats suggèrent que les ajustements chiropratiques répétés pourraient stimuler la production de BDNF, favorisant ainsi la neuroplasticité et la santé cérébrale.

Les chercheurs expliquent que les ajustements chiropratiques étirent rapidement les muscles profonds de la colonne vertébrale. Cet étirement mécanique pourrait stimuler des facteurs de croissance comme le MGF (facteur de croissance mécano-sensible), qui favorise la croissance et la réparation des muscles et des neurones. De plus, la stimulation mécanique de la peau pendant les ajustements pourrait déclencher la libération de NGF (facteur de croissance des nerfs), important pour la survie et la fonction des neurones.

Effets sur l’inflammation

Les changements observés dans les marqueurs inflammatoires sont complexes mais cohérents. L’augmentation de l’IL-6 à 12 semaines, sans augmentation de la protéine C-réactive (CRP), suggère que l’IL-6 n’agit pas ici comme un marqueur d’inflammation systémique, mais plutôt comme une myokine, c’est-à-dire une molécule libérée par les muscles pendant l’exercice.

Les chercheurs comparent les ajustements chiropratiques répétés à une forme d’exercice pour les muscles profonds de la colonne vertébrale. Ces muscles, en particulier chez les personnes souffrant de douleurs chroniques, peuvent présenter des changements négatifs comme une atrophie, une infiltration graisseuse et des modifications de leurs fibres musculaires. Les ajustements rapides et contrôlés étirent ces muscles et augmentent la mobilité des vertèbres, ce qui pourrait stimuler leur régénération.

La diminution du TNF-α est cohérente avec un effet anti-inflammatoire global. Le TNF-α est une molécule clé dans le déclenchement et la propagation de l’inflammation aiguë. Sa réduction dans le groupe chiropratique, maintenue même 4 semaines après l’arrêt des soins, suggère que les ajustements ont un effet régulateur durable sur l’inflammation systémique.

Effets sur le stress

Les changements dans les niveaux de cortisol sont intéressants. Le cortisol augmente généralement après une blessure aiguë pour moduler la réponse inflammatoire initiale. Dans cette étude, l’augmentation du cortisol salivaire à 12 semaines pourrait refléter une réponse au stress mécanique des ajustements. Cependant, la diminution du cortisol sanguin à 16 semaines suggère qu’une fois les soins terminés, le niveau global de stress et d’inflammation du corps diminue.

Le cortisol joue un rôle complexe. Des niveaux élevés de cortisol peuvent supprimer les agents inflammatoires comme le TNF-α, aidant ainsi à équilibrer la réponse immunitaire pendant la réparation des tissus. Les résultats suggèrent que les soins chiropratiques pourraient influencer l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA), le système qui régule la réponse au stress dans notre corps.

Effets sur le système immunitaire

Les changements observés dans les cellules immunitaires (CD4, CD8, CD19, CD56) étaient principalement des augmentations au sein du groupe chiropratique, mais sans différence significative par rapport au groupe témoin. Ces résultats suggèrent une certaine activation du système immunitaire, mais leur signification clinique reste à clarifier.

L’absence d’augmentation de l’IFN-γ dans le groupe chiropratique est rassurante. Cette molécule active le système immunitaire en réponse aux dommages cellulaires. Son augmentation dans le groupe témoin, mais pas dans le groupe chiropratique, suggère que les soins chiropratiques n’endommagent pas les tissus et sont probablement bénéfiques pour la santé des muscles de la colonne vertébrale.

Forces de l’étude

Cette recherche présente plusieurs points forts importants. Tout d’abord, c’est la première étude à examiner les effets à long terme de soins chiropratiques sur un large éventail de biomarqueurs liés au cerveau, au stress et à l’immunité. La plupart des études précédentes se limitaient à une seule séance ou à des effets immédiats.

Le succès du double aveugle est remarquable. Dans les études sur les thérapies manuelles, il est très difficile de cacher aux participants s’ils reçoivent un vrai traitement ou un placebo. Ici, 94% des participants des deux groupes pensaient avoir reçu de vrais soins chiropratiques, ce qui renforce la validité des résultats.

L’utilisation de multiples marqueurs biologiques offre une vue d’ensemble complète des effets physiologiques. En mesurant simultanément des marqueurs de neuroplasticité, d’inflammation et de stress, les chercheurs ont pu identifier des patterns cohérents suggérant des mécanismes d’action spécifiques.

La durée de l’étude (12 semaines de traitement plus 4 semaines de suivi) permet d’observer non seulement les effets immédiats mais aussi leur persistance après l’arrêt des soins.

Limites de l’étude

L’étude présente aussi certaines limites qu’il faut prendre en compte. La taille de l’échantillon était plus petite que prévu initialement. Les chercheurs visaient 150 participants mais n’ont pu en recruter que 106, dont seulement 88 ont terminé les 12 semaines. Ce nombre réduit limite la capacité à détecter de petites différences entre les groupes et augmente le risque de ne pas identifier d’effets réels.

Les chercheurs ont effectué de nombreuses comparaisons statistiques sans ajuster les seuils de significativité. Cela augmente le risque de trouver des différences significatives par hasard. Cependant, cette approche est justifiable dans une étude exploratoire comme celle-ci.

L’étude n’a pas directement mesuré l’activité cérébrale, donc le lien entre les changements de biomarqueurs et les modifications de la fonction cérébrale reste hypothétique. Les chercheurs prévoient d’intégrer des mesures neurophysiologiques dans de futures études.

Les tailles d’effet étaient relativement petites pour certains marqueurs, et les intervalles de confiance étaient larges, suggérant que les effets de l’intervention pourraient être modestes.

Enfin, l’étude n’a pas directement évalué les résultats cliniques comme la douleur ou la fonction. Les chercheurs ont collecté ces données et prévoient une analyse secondaire pour examiner la relation entre les changements de biomarqueurs et les améliorations cliniques.

Implications pratiques

Les résultats de cette étude suggèrent que les soins chiropratiques pourraient avoir des effets qui vont au-delà du simple soulagement de la douleur musculo-squelettique. Les changements observés dans les biomarqueurs indiquent des effets potentiels sur la santé du cerveau, la régulation de l’inflammation et la réponse au stress.

Pour les patients, cela signifie que les soins chiropratiques pourraient contribuer à améliorer la résilience neurophysiologique, l’équilibre immunitaire et la régulation du stress. Ces bénéfices pourraient expliquer pourquoi certaines personnes rapportent des améliorations de leur bien-être général au-delà de la simple réduction de la douleur.

Pour les chercheurs, cette étude ouvre de nouvelles pistes d’investigation. Les futures recherches devraient inclure de plus grands échantillons, des périodes de suivi plus longues, des mesures directes de l’activité cérébrale et une évaluation des résultats cliniques pour confirmer et étendre ces résultats préliminaires.

Conclusion

Cette étude démontre que 12 semaines de soins chiropratiques sont associées à des modifications mesurables de biomarqueurs physiologiques importants. Plus précisément, les soins ont été liés à une augmentation du BDNF (important pour la santé du cerveau) et de l’IL-6 (suggérant une régénération musculaire), ainsi qu’à une diminution du TNF-α (indiquant un effet anti-inflammatoire). Ces changements suggèrent que les soins chiropratiques pourraient moduler les voies liées à la neuroplasticité, au stress et à l’inflammation.

Bien que les effets observés soient modestes et que certains résultats nécessitent une confirmation, l’étude fournit des preuves préliminaires importantes que les soins chiropratiques peuvent induire des changements physiologiques allant au-delà des effets musculo-squelettiques. Les mécanismes proposés incluent la stimulation mécanique des muscles profonds de la colonne vertébrale, la modulation de la réponse au stress via l’axe HPA, et l’influence sur la fonction du cortex préfrontal qui régule à la fois les aspects cognitifs et les réponses immunitaires.

Cette recherche représente une avancée significative dans notre compréhension des mécanismes physiologiques sous-jacents aux soins chiropratiques et ouvre la voie à une approche plus scientifique et fondée sur les preuves de cette forme de thérapie manuelle.

Références : Amjad I, Niazi IK, Kumari N, Ghani U, Rashid U, Duarte FCK, Fortuna F, Iglesias S, Gonzalez D, Sumich A, Fabre B, Holt K, Haavik H. The effects of 12 weeks of chiropractic spinal adjustments on physiological biomarkers in adults: A pragmatic randomized controlled trial. PLoS One. 2025 Dec 11;20(12):e0338730.

 

Vidéo d'une précédente étude sur l'effet de la Chiropraxie sur le cortex préfrontal (en anglais)

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